Texte de Marguerite Despature, membre d'honneur de l'AMF

Quelques réflexions sur mon implication concernant Montessori…

Il y a quelques temps, j’ai eu l’occasion de réunir une douzaine d’amies pour un dîner entre femmes et, pour éviter les papotages inutiles, j’ai proposé que chacune raconte son Ikigai : un mot japonais qui exprime ce qui vous fait lever le matin et ce qui vous motive dans la vie.

Pendant plus de deux heures, nous avons eu un tour de table passionnant.

À la fin j’ai pris la parole pour dire que mon Ikigai me vient de Montessori;

vous le savez bien : en Montessori à la fin de la journée, le petit enfant sait déjà par quoi il commencera la journée du lendemain et il se lève plein d’énergie avec un grand désir intérieur. J’ai gardé cette façon d’être sans cesse en projet et d’être animée dès le réveil par cette joie de vivre qui me donne, à bientôt 75 ans, la volonté et l’énergie de continuer d’entreprendre (par exemple j’ai lancé l’hiver dernier un Atelier Chant dans notre village…)

Petit rappel de mon lien avec Montessori :

j’ai eu la chance d’être éduquée à l’école Montessori Jeanne d’Arc à Roubaix où je suis entrée à 4 ans en 1955 (nous habitions dans le quartier); à l’époque les classes étaient des ambiances Montessori jusqu’en 5ème comprise !

L’école à l’époque était animée par des religieuses dominicaines plutôt « progressistes » qui ont aussi beaucoup contribué à mon épanouissement spirituel.

20 ans plus tard, après des études supérieures de marketing, j’ai intégré à nouveau l’école de Roubaix pour entreprendre un avenir d’enseignante Montessori ; et la vie a fait que deux ans plus tard, il y a bientôt 50 ans, nous sommes partis vivre à Brive la Gaillarde avec notre premier bébé.

Une fois devenue parent d’élève, j’ai découvert la réalité de l’enseignement traditionnel à travers la scolarité de nos six enfants.

J’ai alors entrepris d’essayer de transmettre le message Montessori dans deux écoles maternelles-primaires catholiques de Brive et ça a été une belle aventure.

Après avoir fait appel à l’AMF à Paris, j’ai fait connaissance avec Marie-Louise Pasquier qui était originaire de notre belle Corrèze où elle n’était pas venue depuis 20 ans (après nos journées de travail à Brive, nous partions sur les traces de son passé) ; ensuite j’ai rencontré Nicole THOMAS.

(Ensemble plus tard nous avons aussi été porter le message Montessori en Tunisie à travers l’association Ibn Sina qui accueillait des enfants handicapés mentaux; association co-créée par le sympathique père Dominique Tommy-Martin dont j’apprends à ce jour son décès en juillet 2024…).

À l’époque de la sensibilisation des enseignantes de Brive, j’avais notamment organisé les visites de l’école de Rennes et d’une école à Paris; vous le savez bien : c’est un véritable choc de confronter sa pratique d’enseignement traditionnel à l’attitude de l’adulte dans une ambiance Montessori… certaines enseignantes ont profondément renouvelé leur pratique pédagogique au fil des formations dispensées à Brive par Marie Louise puis Nicole.

Comme dit la chanson : « je vous parle d’un temps " un temps lointain… et plusieurs de ces personnes concernées sont décédées à ce jour si bien que de cette époque, il ne reste à Brive que deux enseignantes et une aide-maternelle qui avaient fait partie de l’aventure.

Et il se trouve qu’il y a un an, j’ai remis les pieds dans notre école de Brive.

En effet, une fois que nous sommes revenus vivre notre retraite en Corrèze (après une quinzaine d’années à Paris), je me suis motivée pour essayer de rallumer la flamme en organisant une grande journée pédagogique à laquelle ont participé 35 enseignant-e-s de ces mêmes écoles de Brive.

Cette fois j’ai fait appel à Odile ANOT qui a présenté son premier film à un public de parents ; et le lendemain, son deuxième film a été au cœur d’une belle journée de travail.

On sème et le terreau est plus ou moins favorable et les choses dépendent évidemment de l’état d’esprit des chefs d’établissement où beaucoup de choses ont changé; à l’image de notre société et des réalités nouvelles auxquelles sont confrontés les maîtres d’école aujourd’hui… j’ai pris conscience que certains « bricolent » un peu avec le matériel éparpillé entre les classes et qu’il manque la volonté de porter un projet global qui ne semble pas être prioritaire à ce jour…

Je voudrais aussi évoquer ici le souvenir très fort que je garde d’une journée à Noisy-le-Grand en mai 2017 où j’ai eu la joie d’assister à un colloque réunissant des personnes soucieuses de proposer l’outil Montessori à des familles précaires.

Isabelle Séchaud en était la cheville ouvrière avec un projet commun avec ATD 1/4 monde; un « atelier Montessori » était proposé le mercredi après midi, non pas comme lieu de « rattrapage scolaire » mais lieu pour rencontrer l’autre tel qu’il est et où qu’il en soit dans un souci d'apporter une stabilité pour ces familles vivant parfois dans des hôtels sociaux…

On insistait sur l’importance de préparer « l’ambiance » pour que chacun trouve sa place et sa parole (tant de valeurs communes à ATD !) ; un lieu où l’enfant se sente « légitime », lui donnant le désir de s’emparer du matériel. Il ne s’agissait pas d’un projet d’apprentissage mais de la construction de l’ETRE !

J’avais été particulièrement touchée par le témoignage de mamans osant prendre le micro pour exprimer qu’au début elles avaient peur que cette pédagogie rende leurs filles trop « indépendante », c’est-à-dire désobéissantes … avant d’être émerveillées par les changements tellement positifs qu’elles pouvaient observer chez leurs enfants qui pourtant ne participaient à cet « atelier » Montessori que le mercredi. On a pu observer aussi une baisse de l’appréhension des familles face à l’école !

C’est l’occasion de parler du souci de permettre au plus grand nombre de bénéficier de cette belle pédagogie, notamment à un public en difficulté; alors qu’on est obligés bien souvent de constater que la pédagogie Montessori est proposée dans des écoles qui pratiquent des tarifs élevés. Mon mari Victor et moi-même avons un souvenir très fort d'une visite à l’improviste d’une petite école Montessori il y a plus de 30 ans en Inde, école très pauvre en matériel, mais où on sentait un véritable rayonnement presque spirituel. Vous le savez si bien : cette pédagogie est moins une question de matériel que d’attitude intérieure.

De même, Montessori est devenu un label à la mode et c’est désolant aussi de voir que l’étiquette Montessori est apposée sur toutes sortes de jeux commerciaux, ne correspondant pas toujours à l’exigence scientifique de Maria…

Comment ne pas évoquer le grand défi (de préférence au mot « danger »…) aujourd’hui qu’est évidemment le numérique (je crois qu’Odile abordera le sujet pour la suite de son travail de diffusion de la pédagogie…)

La pédagogie Montessori peut d’autant plus rappeler l’importance essentielle, primaire et primordiale de la main, du geste, du « sensoriel » qui passe par le contact concret avec le matériel, à commencer tout simplement par le lien avec le livre papier…

Et alors que le tout numérique isole les individus chacun dans sa bulle, une belle « ambiance » Montessori offre l’occasion de vivre dans une véritable petite communauté où les enfants peuvent s’entraider…

Cet état d’esprit d’entraide m’amène à conclure en rappelant que Maria qui a traversé deux guerres, a été conduite à beaucoup réfléchir au très grand sujet qu’est la PAIX … en nos temps si agités, il semble que la diffusion de la pensée de Maria sur la paix doive être une priorité essayant de toucher un public très large, au-delà encore de nos écoles !

Merci de m’avoir écoutée et je regrette beaucoup de ne pas pouvoir échanger de vive voix avec vous ce jour !

Je vous assure de mon amitié !

PS :Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous invite à écouter les cinq épisodes passionnants concernant Maria MONTESSORI sur France Culture, rubrique « grande traversée ». J’y ai appris beaucoup de choses…